Le festival des régions d'Europe
Pour répondre aux souhaits du Festival des régions d'Europe ARZ POBL d'une présentation à Pontivy d'éléments vestimentaires dignes de notre Bretagne, nous avions choisi deux pièces emblématiques illustrant le Bro Pondi au milieu du XIXème siècle, à savoir une rescapée des robes rouges pour l'élément féminin et un porpant d'apparat pour l'élément masculin. Ci-contre l'affiche du festival.
La robe rouge de Pluméliau
Pour ce qui est de la robe rouge, nous vous invitons à vous reporter à notre article " Expo robe rouge de Pontivy" , à l'éditorial sur "l'énigmatique robe rouge" dans la chronique de Pontivy ou à l'article paru dans le Télégramme annonçant la conférence donnée par Réjane et Daniel Labbé au Théâtre des Halles. cliquez ici
La mode au masculin
Pour ce qui est du porpant, nous avions choisi de mettre en valeur le porpant d'apparat que nous avions présenté à l'Espace Mitterrand à Guingamp lors de l'exposition « La mode au Masculin - Gilets brodés et chapeaux» cliquez ici
Le porpant de Bieuzy-les-Eaux
Notre idée était de représenter un couple de jeunes et riches paysans de Pluméliau / Bieuzy-les-Eaux dans leurs plus beaux atours du milieu du 19ème siècle. Pour l'homme, nous disposions d'une part de ce porpant d'apparat et de deux morceaux du pantalon brodé en pareil, et d'autre part d'un chapeau de paille et d'une chemise de lin de la même époque.
Dans la chapelle du château des Rohan
Dans le cadre de ce festival, une exposition était prévue dans la chapelle du château des Rohan. Si le porpant et le chapeau étaient en parfait état de conservation, il était indispensable de reconstituer le reste du costume et notre restauratrice a donc reproduit le gilet et la veste à manches en laine blanche avec ses parements de velours noir et ses boutonnières festonnées au fil de laine rouge.
Dans l'ouvrage "Le pays de Pontivy en 1830", Emile GILLES donne de précieuses informations sur le costume porté par les habitants des faubourgs et des environs de Pontivy à cette époque : ".... Il se compose d'un habit de drap commun, couleur brun violet, dont la taille est longue et le collet très étroit; ses basques, très amples, recouvrent les cuisses et se réunissent par derrière en formant des plis nombreux; le devant est orné, au coté droit, d'un rang de nombreux boutons rouges, et de l'autre, de boutonnières en nombre égal, brodées en laine rouge et jaune, broderie qui se reproduit sur les festonnés et les larges parements ouverts des manches, des chiffres en broderie indiquent la date de la confection..."
Le large pantalon à pont
De notre pantalon à pont , il ne restait que deux morceaux richement brodés et notre restauratrice les a donc appliqués sur la partie inférieure d'un pantalon qu'elle a reconstitué dans un drap de laine d'une teinte volontairement légèrement différente.
Un autre paragraphe du livre d' Emile GILLES nous donne une parfaite description du pantalon porté vers 1830 et ayant remplacé le bragoù bras:" .... Les jeunes gens ont adopté l'usage du pantalon large en drap de la couleur de l'habit. Les coutures latérales et la partie inférieure sont ornées, chez les élégants, de broderies en laine de couleurs tranchantes....".
Une histoire de mots
Nous devions en outre donner quelques renseignements aux visiteurs sur les porpants et raconter l'histoire de notre porpant d'apparat.
L’histoire du costume masculin est d’abord une histoire de mots. Des mots pour désigner telle ou telle pièce du costume breton, des mots empruntés le plus souvent au vocabulaire français, des mots à la signification fluctuante, des mots déformés phonétiquement, des mots créés de toute pièce ou encore des mots oubliés.
Qu'en est-il du porpant? Le Petit Robert et le Larousse sont muets. Wikipédia nous a quelque temps indiqué que le porpant était un terme breton pour désigner « une veste ou un veston »
. Dans l'ouvrage "Le Costume breton", René-Yves CRESTON ne mentionne pas le terme "porpant " au chapitre du vestiaire masculin dans le pays de Pontivy et lorsqu’il cite les larges vestes de la région de Noyal-Pontivy, il les appelle « chupenn ». Ainsi, il commente cette veste de l’homme de Noyal-Pontivy, conservée au Musée de Bretagne et datée de 1851, en ces termes " Quant aux remarquables et précieux chupenn de Noyal-Pontivy, si chacun d’eux est différent des autres quant à la couleur des étoffes, la coupe en est sensiblement la même. Il s’agit d’un de ces habits de la Renaissance lentement remaniés au cours des générations, et que l’on a nommé « habit à la Française ».
Un porpant de 1811 ou 1871 ?
Aucun site internet ne traitait de ce sujet jusqu’en juillet 2010, date de la vente à l'adjudication à la salle des ventes à Douarnenez d'un porpant daté de 1871 (et non 1811 comme indiqué par erreur dans un article paru dans la Gazette Drouot le 14 janvier 2011).
L'ancien pourpoint
Le porpant n'a donc rien à voir avec la veste ou le veston et encore moins avec le pourpoint, ce vêtement du dessous qui était encore porté par le gentilhomme sous les règnes d'Henri IV (1589-1610) et de Louis XIII (1610-1643) .
Dans ARMEN
Seule la revue Armen n°91 de 1998 donnait d’intéressantes informations sur les "porpants pontyviens" . Dans la revue n°89 de 1997, le même auteur produisait des illustrations de vêtements aux couleurs sombres sous le nom de "justenn", dont celui-ci daté de 1869.
Porpant ou justenn ?
Porpant et justenn, ces deux termes sont des métathèses (déformations phonétiques) de pourpoint et de juste au corps.
Que les bretons l'appellent porpant ou justenn, il constitue en fait un surtout, ou vêtement du dessus, sur le modèle des justaucorps, tels qu'ils étaient portés à partir des années 1660-1670 sous le règne de Louis XIV, tel celui-ci dit de St-François de Sales conservé au Musée Galiéra.
Vu par René-Yves CRESTON
R.Y. CRESTON a mentionné l'existence de plusieurs vestes au Musée de Bretagne en drap noir datées de 1848 et 1855, une aux ATP en drap brun datée de 1855, une autre au séminaire de Sainte-Anne d’Auray en drap bleu-noir daté de 1871. Il nous donne ici quelques exemples de broderies datées.
Saint-Isidore
A peu près à la même époque, et comme l'atteste cette statue conservée dans la chapelle Sainte-Tréphine de Pontivy, les nombreuses représentations de Saint-Isidore , Saint patron des laboureurs, le présentent dès le milieu du 17ème siècle avec un porpant et un bragoù bras.
Les habits à la française
Nous avons développé ce sujet des porpants et habits à la française lors d'une conférence donné en novembre 2017 pour Ti Douar Alre et nous avons pu démontrer que cette mode vestimentaire du porpant ou justenn s'était étendue à l'ensemble de la Bretagne avec, comme à l'accoutumée, des variantes tenant compte des matières premières locales, des couleurs traditionnelles des terroirs concernés et de l'aisance plus ou moins importante de cette classe paysanne composée de cultivateurs ou d'éleveurs.
Détail d'un tableau dans la chapelle St-Tugen à Primelin daté 1705 représentant un mariage dans le Finistère.
Vu par Henri CHARPENTIER
La plus ancienne illustration d'un porpant de la région de Noyal-Pontivy semble être cette gravure de Henri CHARPENTIER parue vers 1830 avec cet habit complet composé d'un gilet croisé à double boutonnage, d'une veste en drap de laine écru et d'un porpant ou justenn en drap de couleur brun foncé aux parements rehaussés de broderies au fil de laine rouge et safran. Une date de 1824 se lit sur la cartouche brodée, il s'agit du plus ancien porpant pontivien représenté.
Vu aux Musées
Les régions de Noyal-Pontivy et de Neuillac vont en outre s’avérer très intéressantes par la conservation dans des collections privées ou publics de plusieurs porpants datés de la période 1844 à 1877. Voici un porpant daté de 1853 et présenté lors de l'exposition "Les bretons et l'argent" au Musée de Bretagne à Rennes en 2011
Vu sur les cartes postales
Quelques porpants ont été portés jusque dans les années 1900 par quelques célébrités locales, bardes ou simples artisans locaux qui ont maintenu une tradition vestimentaire assez exceptionnelle. La date figurant sur le porpant indiquait la date de sa fabrication, vraisemblablement proche du mariage de son propriétaire qui y faisait parfois broder ses initiales.
Voici le détail d'une carte postale représentant Joseph Le Bot dit "Job Matou" vers 1910, il était artisan charpentier à Melrand; son porpant est daté 1865.
Les broderies
Si le mariage était l'occasion de porter ses plus beaux atours, la venue de Napoléon III en Bretagne en août 1858 a surement incité quelques riches propriétaires à s'en faire réaliser un exemplaire alliant le meilleur drap, le tailleur le plus adroit et le brodeur le plus inventif.
Les modes vestimentaires étaient à cette époque en pleine évolution avec une recherche et une fantaisie insoupçonnées, notamment dans les motifs brodés, comme ici sur notre porpant d'apparat.
Patern Le Beller à Bieuzy-les-Eaux
Le porpant ici présenté a été longtemps conservé à Nantes, comme d'ailleurs la robe rouge de Marie-Françoise ROBIC, native de Pluméliau, et conservée par l'association des Amis de Pontivy.
Bien que non daté, ce porpant a été vraisemblablement confectionné pour son mari Patern LE BELLER, maire de Bieuzy-les-Eaux entre 1848 et 1851, en prévision de la venue du couple impérial en Bretagne, visite plusieurs fois annoncée et effective le 16 août 1858 à Pontivy, redevenu depuis 1852 Napoléonville.
Il faut imaginer la présence de riches paysans en habit à basques et un très grand défilé devant le couple impérial de cavaliers bretons en costume blanc du pays, avec, en croupe, leurs femmes parées de leur robe en drap rouge aux broderies d'une grande richesse.
Patern LE BELLER n'aura pas la chance de participer à ces festivités, il est décédé le 21 mars 1857 à Bieuzy-les-Eaux.
Un couple de riches paysans de Bieuzy-les-eaux vers 1850
Cette photographie prise sur les marches dans la cour intérieure du château des Rohan permet d'imaginer la qualité des vêtures et parures d'un jeune couple de paysans aisés en habits de fêtes du Bro Pondi au milieu du XIXème siècle.
Rédacteur Daniel Labbé